Sélection Récits historiques de l’année 2020
Les Naufragés de la Méduse
De Jean-Sébastien Bordas et Jean-Christophe Deveney (Casterman) – 26 €
Le 2 juillet 1816, la Méduse, suite à des erreurs de commandement, s’échoue au large du Sénégal. Les canots de sauvetage sont insuffisants et 170 passagers sont laissés sur le bateau. Ils construisent alors un radeau de fortune avec les restes de l’épave.
Deux semaines plus tard, lorsqu’ils sont enfin retrouvés, il ne reste que 17 survivants !
Sur le radeau, les survivants ont vécu l’enfer… L’histoire va profondément toucher Théodore Géricault qui décide de s’emparer du sujet pour en faire une grande oeuvre. Celle-ci lui donnera l’occasion de faire voler en éclat l’académisme de rigueur dans la peinture de l’époque.
Le récit alterne entre l’histoire de Géricault et celle des naufragés. Le dessin tout en couleurs directes de Jean Sébastien Bordas est saisissant et rempli d’émotions. La détresse des naufragés est parfaitement saisie. Les voiliers et la mer sont splendides.
L’intrigue, et le jonglage entre deux épisodes distincts sont parfaitement maîtrisés. Une réussite.
Les croix de bois
De Jean-David Morvan et Facundo Percio (Albin Michel) – 19.90 €
En 1919, Roland Dorgelès publie « les croix de bois », un roman où il décrit la vie dans les tranchées de l’intérieur. Un témoignage magnifique et rare sur l’une des périodes les plus terribles de notre histoire.
Les auteurs se réapproprient intelligemment l’histoire en faisant beaucoup plus qu’une adaptation : ils réinventent le texte, en mettant en scène à la fois le livre, et la vie de son auteur au sortir de la guerre. La structure de l’oeuvre est totalement refondée, pour former un véritable récit de guerre.
Deux types de graphismes bien distincts se font face, chacun lié à une époque de la vie du personnage. Le réalisme du propos et la douleur qui se dégage de ses pages, en font l’un des récits majeurs sur la première guerre mondiale en bande dessinée.
Poignant.
Radium girls
De Cy (Glénat) 22 €
1918, Etats-Unis, L’United State Radium Corporation est une usine spécialisée dans la peinture de cadrans de montres avec une substance luminescente dans le noir : la peinture Undark. Des ouvrières y travaillent à un rythme soutenu, et peignent des détails très minutieux. Pour lisser le pinceau dont elles se servent, la technique est de l’humidifier avec les lèvres.
Elle remarquent alors qu’à la longue, la peinture leur a rendu les dents brillantes dans le noir. Amusées, elles se peignent les ongles de la même façon, pour faire fureur en soirée : On les surnomme les « Ghost girls » !
Elles ne se doutent pas encore que les produits qu’elles manipulent toute la journée sont en réalité mortels. Les premières victimes mourront bientôt.
C’est alors un véritable combat que mèneront ces femmes pour faire reconnaître leur maladie professionnelle.
Une histoire passionnante habilement mise en image par les crayons de couleur de Cy, dont le dessin est presque fantomatique, à l’image de ces femmes, les « ghost girls ».
Très beau.
Croke Park
De Sylvain Gâche et Richard Guérineau (Delcourt) 21.90 €
Le Dimanche 21 novenbre 1920 n’est pas (le veinard) le « Boody Sunday » chanté par U2, mais a été lui aussi le témoin d’un massacre dans le cadre de la guerre d’indépendance irlandaise, à Dublin. La journée commence avec une opération d’agents de l’Ira qui vont exécuter 14 agents et informateurs britanniques dans la ville. Le Bloody sunday fut organisé le soir même par les forces paramilitaires britanniques, qui en représailles commirent un massacre dans le stade de Croke Park, lors du match de foot gaélique Dublin-Tipperary, faisant 14 morts dont des enfants, et 65 blessés.
C’est cette histoire que raconte cette BD, en prenant pour point de départ le match de rugby de « réconciliation » de 2007 entre irlandais et anglais dans ce même stade, match à la symbolique lourde pour les deux peuples.
Récit d’une histoire méconnue, soutenu par les superbes dessins de Richard Guérineau, ^Croke Park » est le premier volume de la toute nouvelle collection Coup de tête chez Delcourt (dirigée par Kris) qui a pour ambition de relater les moments où Histoire et Sport se sont rencontrés.
La Cagoule
De Emmanuel Herzet, Vincent Brugeas et Damour (Glénat) terminé en 3 tomes
1936, le ministre de l’intérieur français Roger Salengro se suicide. Son successeur, le socialiste Marx Dormoy persuadé que ce suicide est le fait de la droite, décide de diligenter une enquête.
L’affaire se révèle très vite politique, impliquant une organisation secrète d’extrême droite : la Cagoule.
« La Cagoule » est un parfait polar historique, dans la lignée de « Il était une fois en France ». Les auteurs reviennent sur une période trouble de l’histoire pour développer une intrigue policière palpitante pleine de rebondissements.
Le banquier du Reich
De Pierre Boisserie, Philippe Guillaume et Cyrille Ternon (Glénat) terminé en 2 tomes
Le banquier du Reich revient sur l’histoire de Hjalmar Schacht, président à vie de la Reichsbank à l’époque nazie.
L’intrigue dissèque, à la manière d’un polar historique, l’histoire trouble et tortueuse de cet économiste hors pair : d’abord collabo au régime nazi, puis fervent opposant à celui-ci. Il sera également impliqué dans la relance de pays émergents lors de la Guerre froide.
Très bonne intrigue policière, parfaitement documentée tant sur le plan politique qu’économique. Un dyptique très réussi !
Les Frères Rubinstein
De Luc Brunschwig, Etienne Le Roux et Loïc Chevallier (Delcourt), 2 tomes parus
Salomon et Moïse grandissent dans les années 20 dans un coron du nord de la France. Salomon le grand frère est débrouillard, hâbleur, et rêve de cinéma et d’Amérique. Moïse, lui, est un élève brillant et fait la fierté de ses parents. Pas encore vraiment concernés par les évènements à venir, ils vont malgré tout découvrir le racisme ambiant, racisme de classe qui fait qu’ils ne pourront s’extraire de leur condition pauvre, et antisémitisme ancré dans l’esprit des masses.
Avec toute la sensibilité de Brunschwig et le dessin beau et efficace d’Etienne le Roux (avec Loïc Chevallier aux décors), la sage des frères Rubinstein nous fait suivre avec envie les voyages de Salomon et Moïse, dissemblables et malgré tout proches car frères, à travers un XX° siècle qui se couvre de honte.
La Patrie des frères Werner
De Philippe Collin et Sébastien Goethals (Futuropolis) 23€
Konrad et Andreas Werner sont deux jeunes orphelins juifs Allemands, à Leipzig lors de la séparation de l’Allemagne en deux blocs. En 1956 ils sont recrutés par la Stasi, le service de police politique est-allemand, pour échapper aux camps de rééducation. Quelques années plus tard, quand Konrad est envoyé pour espionner à l’ouest, les deux frères sont séparés pour la première fois de leur vie.
1974, Mondial de Football en RFA. Le match de poule opposant les équipes des deux blocs promet d’être historique. Historique il l’est aussi pour Konrad et Andreas qui vont pouvoir chercher à se revoir après 12 ans de séparation, ce dernier accompagnant l’équipe de RDA pour éviter les passages à l’ouest.
Fiction historique documentée, la Patrie des frères Werner montre aussi à quel point les évènements modèlent et façonnent les individus.